Je sens que je vais faire de la peine à beaucoup de gens, mais j'ai pour habitude d'assumer mes partis-pris ; en l'occurrence, je n'ai jamais été un admirateur de l'Abbé Pierre, que j'ai toujours tenu pour un démagogue, même si tout n'était pas à jeter chez le bonhomme, loin de là ! Saint homme peut-être, mais démagogue quand même ! Pourquoi ? Probablement par déformation professionnelle, les hommes et femmes d'église étant formatés pour une mission (ah, le bon mot !) essentielle : convertir de nouvelles ouailles, aujourd'hui et demain, ici et partout, pour la gloire de Dieu, conformément à ce vademecum : "Allez dans toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit..." (Matthieu 28, 19). Et, pour ce faire, tous les moyens sont bons, notamment l'angélisme et les bons sentiments.
Histoire d'enfoncer le clou : vous ne pensez quand même pas que la Sainte Mère Theresa est allée se ruiner la santé en Inde uniquement par amour du prochain ! Cette religieuse portait un uniforme, lequel ressemblait, comme une goutte d'eau à une autre, à l'uniforme porté par les femmes indiennes qui l'assistaient. Vous en déduisez... que Mère Theresa avait converti pas mal de monde autour d'elle, et que les mouroirs de Calcutta étaient certainement une des raisons de son engagement, mais une des raisons seulement, et pas forcément la plus importante ! Ça, c'est moi qui vous le dis, et sans une once de cynisme !
Bien évidemment, on ne saurait contester à l'Abbé Pierre sa croisade plutôt courageuse contre l'extrême misère, qu'il a entendu dénoncer dès l'hiver 54. Le problème est qu'en bon abbé, il devait penser que "tout le monde il était - ou aurait dû être - beau, tout le monde il était - ou aurait dû être - gentil", façon méthode Coué. En bon français, ça s'appelle de l'angélisme.
Car le problème est que :
- d'une, ce genre de personnage charismatique agit essentiellement au niveau symptomatique des problèmes ; en clair, on assiste les pauvres en soulageant leur misère, sans vraiment s'attaquer à l'origine du mal : l'exploitation des plus faibles et l'inéquitable répartition des richesses.
- de deux, et c'est en quelque sorte une conséquence de ce qui précède, il y a ce bilan, particulièrement désastreux, à des décennies de distance, à savoir que le mal n'a pas été résolu à la racine, d'où une impression de perpétuel recommencement, que ce montage tiré du Parisien résume fort bien.
Un demi-siècle d'échecs. Franchement, il n'y a pas de quoi être fier. Et à cela, il y a des explications.
Ci-dessous, nous avons l'association d'un tract du D.A.L., association manifestement héritière des combats de l'Abbé Pierre, d'une part, avec un message signé de l'Abbé lui-même, d'autre part. Deux discours autour d'une même obnubilation : la volonté d'installer un maximum de gens (pauvres) au sein des villes de France et de Navarre, sans se poser plus en avant la question de l'adaptation de ces gens à la vie urbaine, voire l'indispensable élévation de leur niveau de vie, en amont, comme si cela allait de soi qu'un paysan, disons, du Burkina Faso, par exemple, puisse automatiquement s'intégrer dans un univers urbain sophistiqué, individualisé, donc hostile.
Ce qu'on aperçoit ci-dessus, à droite, est un texte de l'Abbé Pierre publié dans le magazine La Vie de décembre 2005. Déjà, à l'époque, j'avais trouvé ce texte incroyable de naïveté et d'angélisme. Il commence ainsi : "À M. et Mme Tout-le-Monde.
Depuis des années, avec la Fondation qui porte mon nom, nous dénonçons ce scandale des communes qui se refusent à bâtir du logement social sur leur territoire, et qui, par là, deviennent, hors la loi. Je voudrais faire prendre conscience
de ce que les maires de ces communes ne font souvent que refléter ce que veulent leurs administrés, puisque nous sommes en démocratie..."
L'intégralité de ce texte est accessible dans la première section du présent chapitre.
Quant au D.A.L., héritier direct de l'Abbé, son affichette est particulièrement explicite : on y voit une paysanne africaine portant bébé dans le dos et embarquée dans un panier à salade par des policiers, non sans qu'elle ait préalablement exhibé une banderole sur laquelle on peut lire "Un toit c'est un droit."
Vous aurez remarqué que le D.A.L. a choisi une paysanne africaine, de préférence à toute autre personne vivant en ville. Où l'on voit que le but manifeste du D.A.L. est d'installer des paysans africains au coeur des villes de France.
L'exode rural est pourtant un thème fort bien documenté parmi les sociologues. Et c'est précisément cela qui m'a inspiré l'acronyme D.A.L.E.V.
Retour sur la masse de documents transmis, en leur temps, à la classe politique de ce pays : ci-dessous, un texte daté du 7 mars 2001, soit peu avant les municipales.
D.A.L. ou E.A.L. (É comme Éducation…)
(…) On peut regretter que le DAL ne se fasse connaître que par des opérations d'invasions d'immeubles vides, et ne fasse rien pour empêcher les dégradations qui conduisent, chaque année, à la destruction de milliers de mètres carrés de logements.
Ce qui s'est passé récemment à Saint-Denis, près de Paris (incendie meurtrier dans un immeuble insalubre), est venu rappeler à tout le monde que des millions de gens vivent encore dans des taudis, situés généralement dans de vieux quartiers et dans des centres-villes, ou presque ! Mais, précisément, on touche du doigt le caractère irresponsable et mensonger d'un certain discours, qui voudrait faire des "banlieues" des zones sinistrées ! Quiconque a mis les pieds dans un de ces taudis, comme celui qui a flambé à Saint-Denis, se dit que les habitants de telle ou telle cité dite "sensible" sont, en réalité, des privilégiés - avec ascenseur et parfois même balcon -, qui seraient mieux inspirés d'entretenir leurs logements, ne serait que par solidarité avec leurs cousins ou frères moins bien lotis !
Décembre 2000 : une dame me remet l'adresse d'une de ses connaissances, dont le fils aîné connaît quelques problèmes scolaires. Je me présente au …, Route d'Asnières, près de Paris ; vu de l'extérieur, rien d'anormal, si ce n'est la salade de fils électriques au-dessus de l'escalier. (…) Deuxième étage : j'entre dans un endroit censé être habité par deux parents et leurs trois enfants, dont la plus jeune a cinq ans. La porte d'entrée ne s'ouvre pas complètement ; il faut tirer une table ; la porte s'ouvre. Je suis dans un réduit de 6 m2, dans lequel se trouve une cuisinière à gaz allumée, que la gamine de cinq ans frôle sans arrêt ; deux ou trois chaises, des cartons… Je ne vois pas de téléviseur. Il n'y a en tout et pour tout que deux pièces ; l'autre pièce est la chambre des enfants : des lits superposés, des cartons jusqu'au plafond, qui obstruent complètement la fenêtre. Je me dis que, si le feu venait à prendre dans l'entrée, en pleine nuit, avec la fenêtre condamnée, les enfants n'auraient aucune chance ! Le père était sorti ; il a dû penser que le local n'aurait pas pu contenir une personne de plus !
L'homme est arrivé du Maroc avant de rencontrer sa future épouse ; il s'installe dans ce taudis, puis se marie, et c'est là que le piège se referme sur eux ! A moins qu'il ne s'agisse d'irresponsabilité ! Au lieu de déménager, en prévision des naissances, ils restent là ; et tous les enfants vont naître là… Quinze ans dans ce trou ! J'apprendrai plus tard que le plus âgé des enfants est en réalité une fille, et que l'adolescente n'arrête pas de fuguer ! Parce que ses parents auraient voulu lui imposer de vivre dans ce cloaque ?!
Je ne suis jamais retourné dans cet "appartement" !
(...)
Le D.A.L., qui semble se soucier de la qualité de vie des gens humbles, serait une organisation ô combien plus crédible, s'il se donnait la peine d'aller dans les banlieues, pour y instruire les gens sur la bonne façon de conserver son logement en bon état, parce que l'implosion d'immeubles dont la réfection coûterait plus cher que la destruction est un scandale, quand on évalue le nombre de gens encore mal logés. Le comble est que ceux qui ont "salopé" leur habitat se voient encouragés de persévérer : avant de détruire l'immeuble qu'ils ont dégradé, on les reloge ailleurs, et dans vingt ou trente ans, les mêmes causes produisant les mêmes effets, il faudra de nouveau détruire…, et les reloger… C'est fou !
Récemment entendu à la radio : M. A. Campana, ancien journaliste, racontait à L. Guimier comment est née la fameuse phrase de M. H. Désir, à l'Heure de Vérité, cette fameuse phrase sur les ascenseurs qu'il valait mieux réparer ! Et moi qui croyais que le garçon était sincère ! Ce n'était qu'un coup de marketing, une trouvaille de conseiller en communication ! Parce qu'en réalité, si l'on en arrive à ne plus réparer les ascenseurs – ce qui veut dire qu'à l'origine, il y avait des ascenseurs dans l'immeuble –, c'est parce que les sociétés gérantes en ont eu assez de remédier à la bêtise de certains. Et si M. Désir avait été un pédagogue, et non pas un bonimenteur, il aurait mis les millions alloués à son organisation au service de l'éducation des gosses des banlieues : ex. casser l'ascenseur pénalise vos mères, tantes…, qui sont obligées de se taper l'escalier avec leurs chariots à provisions ! Et si, par votre bêtise, les commerçants du quartier ferment boutique, alors ce sont vos mères, tantes… qui vont devoir se taper des kilomètres à pied, en bus - quand ils ne sont pas en grève, pour cause d'agression – pour aller faire les courses dans la ville d'à côté ! Même chose pour les médecins, pompiers…
Voilà un discours simple, que même le gosse le plus débile peut comprendre. Et au lieu de ça, SOS Racisme et autres France Plus ont dilapidé les opulentes subventions dont ils ont bénéficié, en concerts sur la place de la Concorde et autres opérations de relations publiques. Sans parler de toutes ces opérations bidons, du type "grands frères" et abondamment pourvues de subventions. Résultat des courses : des organisations à reconstruire et tout un travail à reprendre à zéro ! |