"Für Kenner und Liebhaber" : titre d'une émission musicale d'une radio de Baden Baden, dans le sud de l'Allemagne, de "kennen" (connaître) et liebhaben (apprécier), mais Liebhaber veut aussi dire "amant".

Et dire que l'enseignement de l'Allemand recule en France, tout comme le français recule en Allemagne, la faute à l'anglais et à l'Internet, paraît-il ! Et pourtant, l'Allemand est la première langue maternelle de l'Europe communautaire, langue parlée du sud du Danemark au nord de l'Italie, et du Bénélux à Prague, de l'Alsace à la Hongrie, sans oublier quelques enclaves perdues quelque part en Russie et ailleurs, et ce, malgré l'immense exode qui a suivi la chute d'Hitler en 1945. Le poids de l'Allemagne au coeur de l'Europe se traduit par une transhumance quotidienne de plusieurs centaines de milliers d'Alsaciens et de Lorrains passant la frontière pour s'en aller travailler chez Siemens, Daimler Benz et autres Volkswagen, sans oublier tous les habitants de l'Est de l'Europe, qui migrent eux aussi vers la Germanie. Et rien que pour ça, le désintérêt croissant pour l'Allemand, dans le système scolaire français, relève de la plus pure bêtise !

Pour ma part, j'ai découvert l'Allemand grâce à la méthode Assimil (Der Tee ist gut... Ich bin groß und stark...), et puis, il y eut, un soir, une retransmission du Tannhaüser de Wagner sur France Musique. Un vrai choc. Puis il y eut des vacances à Salzburg (Autriche), qui auraient dû durer trois semaines, et qui se sont étendues sur... six ans !

Difficile la langue allemande ? Rêche et gutturale, peu encline à faire chanter les mots ? Balivernes et stupidités ! Ceux qui trouvent cette langue peu poétique ne connaissent visiblement pas le répertoire des Schubert, Brahms, Schumann et autres Richard Strauß... Écoutez donc, si vous en avez l'occasion, rien que l'ode "An die Musik", poème de Franz von Schober (1798-1882), mis en musique par Franz Schubert (1797-1828), dans la version de Jessye Norman (**) - par parenthèse, celle dont je me souviens était donnée en concert ; rien sur Youtube ; cela dit, on trouve des tas de versions tout à fait passionnantes du morceau. Voyez le menu de navigation.). Vous m'en direz des nouvelles. Ça commence comme ça :

Du holde Kunst, in wieviel grauen Stunden,
Wo mich des Lebens wilder Kreis umstrickt,
Hast du mein Herz zu warmer Lieb entzunden,
Hast mich in eine beßre Welt entrückt!

Oft hat ein Seufzer, deiner Harf entflossen,
Ein süßer, heiliger Akkord von dir
Den Himmel beßrer Zeiten mir erschlossen,
Du holde Kunst, ich danke dir dafür!

Ô toi, Art gracieux, durant combien d'heures sombres,
Où j'étais pris dans les rets tourmentés de la vie,
Combien de fois n'as-tu pas ravivé mon coeur à l'amour
Me ramenant toujours vers un monde plus beau !

Combien de fois, un soupir, s'échappant de ta harpe,
Un de ces délicieux, de ces sublimes accords
M'ont fait entrevoir des cieux toujours plus bleus,
Ô Art plein de grâce, pour tout cela, je te dis : merci !

Ce qui suit est réservé aux "Kenner und Liebhaber" évoqués plus haut. Parce qu'il y a toujours un côté sacrilège à vouloir traduire de la poésie. Alors, cette fois, il faudra l'apprécier, "nature" ! Il est question d'une séparation (Mein' Liebste ist verschwunden : Ma chérie a disparu) qui conduit à des sentiments macabres (Ich möcht' am liebsten sterben, da wär's auf einmal still : Ô j'aimerais tant mourir, pour que tout s'arrête enfin !)

De Josef von Eichendorff (1788-1857),
Das zerbrochene Ringlein (L'anneau brisé)

In einem kühlen Grunde,
da geht ein Mühlenrad,
mein' Liebste ist verschwunden,
die dort gewohnet hat.

Sie hat mir Treu versprochen,
gab mir ein'n Ring dabei,
sie hat die Treu' gebrochen
mein Ringlein sprang entzwei.

Ich möcht' als Spielmann reisen
weit in die Welt hinaus,
und singen meine Weisen,
und gehn von Haus zu Haus.

Ich möcht' als Reiter fliegen
wohl in die blut'ge Schlacht,
um stille Feuer liegen
im Feld bei dunkler Nacht.

Hör ich das Mühlrad gehen:
Ich weiß nicht, was ich will -
ich möcht' am liebsten sterben,
da wär's auf einmal still!

Ce qui suit est un pur chef-d'oeuvre. Le genre de choses qui vous donne envie d'apprendre l'allemand !
Le poème est construit comme un écheveau, avec des éléments imbriqués les uns dans les autres ; du reste, l'auteur évoque le geste du tisserand ("Ich spinne so allein den Faden"..., je suis là, tout seul, à tisser le fil...). Le thème est le même qu'auparavant : la séparation (Da du von mir gefahren : Maintenant que tu m'as quitté... ; Gott wolle uns vereinen : Fasse que Dieu nous rassemble ; Ich sing und möchte weinen : je chante avec le coeur plein de larmes.), avec plein de réminiscences que le poète organise sous la forme du leitmotiv : ces éléments récurrents, qui installent une atmosphère étrange et assez envoûtante, principe que Richard Wagner magnifiera dans ses drames musicaux. Il est question d'un rossignol (Nachtigall), dont le chant remplit l'espace (Schall), rappelant de vieux et délicieux souvenirs, tout en ravivant la douleur de la séparation. La versification est du type a-b-b-a * c-d-d-c et les quatrains sont organisés sous la forme alternée A B A B A B, avec A (a-b-b-a) et B (c-d-d-c). Le résultat est une pure merveille que seul(e)s les "Kenner und Liebhaber" sauront apprécier (pour mémoire : la lettre 'ß' se prononce 'ss').

Es sang vor langen Jahren
wohl auch die Nachtigall,
das war wohl süßer Schall,
da wir zusammen waren.

Ich sing und kann nicht weinen
und spinne so allein
den Faden klar und rein,
solang der Mond wird scheinen.

Da wir zusammen waren,
sang süß die Nachtigall;
nun mahnet mich ihr Schall,
daß du von mir gefahren.

So oft der Mond mag scheinen,
gedenk ich dein allein,
mein Herz ist klar und rein,
Gott wolle uns vereinen.

Seit du von mir gefahren,
singt stets die Nachtigall.
Ich denk bei ihrem Schall,
wie wir zusammen waren.

Gott wolle uns vereinen,
hier spinn ich so allein,
der Mond scheint klar und rein,
ich sing und möchte weinen.

Clemens Brentano (1778-1842)

(**) Tiens, by the way, soit dit en passant, faites-vous vraiment plaisir et, en attendant de la retrouver dans Strauß ou Wagner, retenez votre souffle en écoutant Jessye Norman dans ce fameux air du Didon et Enée de Purcell (When I am laid in earth/Quand je serai sous terre) : j'avoue avoir la chair de poule à chaque fois.

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